Récit d’un court voyage
Je profite du blog pour mettre en ligne un premier récit de voyage à vélo. Rien d’extraordinaire, juste un itinéraire de 3 petits jours entre Paris et Tours.
Rouler dans son passé
C’était il y a six mois. Je sortais d’un été éreintant, post-confinement. Eté durant lequel, tous ceux qui n’en n’étaient pas encore convaincus s’étaient à leur tour plongés dans le vélo. Et là où je vis, le réparateur c’est moi. J’en ai vu passer des épaves, des générations de vélos jetables, mais aussi des perles rares qui durent parce qu’on en a pris soin, parce qu’on a roulé avec.
J’en étais donc là en septembre, convaincu d’avoir besoin d’une pause mais sans savoir quoi m’accorder. Ballotté par les restrictions de liberté en fonction des taux d’incidence et des variants, je décidais d’en faire fi et de prendre des billets pour rouler là où j’ai grandi. Catharsis, rite initiatique, ou pèlerinage intime, je n’en savais rien, je ressentais juste le besoin. L’idée de départ était d’aller visiter mes aïeux. Et puis très vite j’ai compris que je n’oserais pas. J’ai préféré interroger les paysages et la terre, voilà comment je me suis pris.
L’horloge du quai indique 5h30 quand je commence à réfléchir à ce que je fais là ce matin de février. J’ai choisi de bouleverser mes habitudes, de laisser ma petite famille quelques jours pour me concentrer sur moi. C’est venu un peu sur un coup de tête comme cette fois où j’avais décidé en dix minutes d’aller apprendre à souder chez Tom à Copenhague. J’avais alors laissé ma fille et ma femme sans trop savoir où j’allais. J’étais revenu sept jours plus tard, les doigts brûlés de partout, les yeux remplis de cordons de soudure et la tête pleine d’images et de nouveaux mots. Je me sens bien, le regard un peu embrumé (eh oh il est 5h du mat) , je m’étonnerai presque d’avoir réussi à émerger, à réserver une disponibilité de trois jours juste pour le plaisir.
Dans le train qui fonce vers Paris, je regarde mon petit équipement de bikepacker. Je me sens imposteur : voyageur en vélo je n’en suis pas vraiment un, baroudeur j’en ai seulement la barbe. Il me manque l’endurance et la technique, mais j’ai l’envie de voir, pas sûr que cela ne suffise. Quand on voyage en famille, on emporte beaucoup : de la tente aux fruits secs, des vêtements de rechange à la lampe frontale en passant par les doudous. J’ai donc voulu faire différemment, voyager léger, comme James Bond. Je me débrouillerai. J’ai tout de même une carte routière, un stylo et un petit carnet. Et je m’interroge : comment font-ils ces gens qui voyagent et écrivent ? Ces Joseph Kessel ou ces Virgile Charlot, comment gardent-ils tout en tête de ce qu’ils voient ? Comment trouvent-ils les mots qui touchent ?
Quand j’atterris la gare de Bercy je n’ai pas fini de répondre à ces questions. Je prends seulement conscience que je n’ai pas préparé mon itinéraire. Avant d’arriver en Beauce, il faut sortir de Paris, et l’affaire n’est pas simple. Si quand vous allez à la Villette vous emportez ce plan détaillé de la capitale (celui que l’on doit feuilleter d’un arrondissement à l’autre), alors vous imaginez ma situation. Place d’Italie c’est ok, rue de la Glacière, je connais, mais pour la suite c’est le néant. Alors on se base sur les souvenirs : les gares, les portes du périph’ ou encore les voies ferrées.
Chaque feu rouge est devenu une bénédiction, il laisse le temps de retirer les gants et de déplier la carte. Et ça marche. Sans faire vraiment exprès, je tombe sur la coulée verte qui m’emmène tout schuss jusqu’à Palaiseau. De là, suivre les rails puis les cours d’eau jusqu’à Bures-sur-Yvette. C’est à cet endroit précis, juste en bas de la montée que j’ai regretté d’avoir dévoré mes provisions dans le train. L’Île-de-France c’est plat m’avait-on dit en Auvergne. Ca l’est sans doute pour les habitués du col de la Croix Morand ou du col du Béal. Oui mais voilà, ça n’est pas mon cas.
Je rejoins non sans mal le début du plateau beauceron via une voie verte reprenant le tracé de l’aérotrain et je bénis l’invention (où l’évolution) du gravel (ces vélos qui vont partout, je confirme). Les routes sont humides, les chemins boueux et les rivières débordent. Mais qu’elle est belle cette campagne où tout est devenu silence. Je croise la forêt de Rambouillet balisée par ces petits promontoires de bois sur lesquels j’imagine les chasseurs de dimanche. Je découvrirai ensuite qu’ils sont là les jeudis aussi.
Pour l’arrivée sur Chartres, mes souvenirs me promettaient d’avoir les flèches de la cathédrale comme repères, il n’en n’est rien, fichus souvenirs. Le panneau m’annonce des Trucsville, des Machinsville. Quand je traverse Coltainville, je me sens comme les héros de mon enfance Lucky Luke ou Blueberry. Je suis comme ce cow-boy débarquant en ville : crotté, puant, le postérieur en compote. Comme ce hors-la-loi, le seul à vélo, sur les routes de Beauce. J’arrive à Chartres pour le couvre-feu. Pour une fois, il me convient !
Le lendemain, départ aux aurores. Aujourd’hui je reviens en enfance. Il me faut d’abord sortir de Chartres, rejoindre la gare de Voves où le prix d’un billet pour 30 minutes de train est trois fois plus cher au guichet que sur Internet. Le chef de gare est fataliste « on veut nous fermer. ça arrivera un jour, et puis après, ça reviendra ». Je garde ces mots en tête dans le TER qui m’emporte à Châteaudun. En sortant de la gare, je croise Sabine par hasard et je prends des nouvelles, comme si j’étais parti hier. En vrai cela fait bientôt 15 ans.
Clairement porté par la nostalgie, je fais des rapides conversations masquées avec les parents de mes amis d’adolescence, espérant qu’ils transmettent à leurs enfants que je suis passé, que j’ai osé venir jusqu’ici. Au fond j’aimerais que cela les interroge. J’ai toujours aimé vivre ici, mais c’est encore meilleur d’y passer, d’aller saluer le donjon comme s’il s’agissait d’un bon pote. Je me rends compte que c’est la première fois que je fais du vélo dans cette ville où j’ai pourtant passé dix ans, on n’est pas toujours malin quand on est ado !
Quelques 25 km et j’aperçois le village où j’ai grandi. Depuis 1h j’ai pris la confiance et je roule sans les mains, le nez au vent, les yeux un peu chargés du passé. Je franchis la ligne d’arrivée comme un héros : comme Julian Alaphilippe en 2019 ou comme Amédée Fario en 1913. Les souvenirs sont encore trompeurs, ils sont des mirages temporels. Le bourg de mes 8 ans n’est plus le même, il n’existe plus. Le crachin percheron m’accueille comme pour me faire comprendre que je ne suis plus d’ici. J’ai l’impression d’être un étranger là où j’ai grandi. De nature pourtant bavarde, je ne tente la causette avec personne dans le village. Je ne parle qu’à moi, qu’à l’homme qui casse la croûte sur l’estrade en bois où enfant il a fêté le but de Laurent Blanc face au Paraguay de Chilavert.
La suite de mon itinéraire me fait grandir d’un coup. J’ai pourtant la sensation de connaître par cœur les routes que j’emprunte. Virage comme-ci, là-bas une ferme aux barrières blanches. Rien n’a bougé en sorte ; c’est à la fois rassurant et triste. Il est 18h quand j’atteins Vendôme. La ville est posée sur la rivière, j’y suis né et c’est tout. Les derniers kilomètres sont sublimes. La vallée du Loir est comme la cadette de la Loire : sauvage, jalonnée de châteaux délicieux, de vins mésestimés, parfait pour les promenades à bicyclette.
Depuis Vendôme rejoindre Tours n’a rien de compliqué. Cela le devient quand on a pas de carte, peu de temps et que les cours d’eau fuient de partout. Je choisis donc quelques kilomètres avant Vouvray de traverser la Brenne sortie de son lit. Il ne s’agit pas d’un rite de purification pour les rares pèlerins du chemin de Saint-Jacques que je croise sur la route, mais avoir de l’eau jusqu’au genoux permet de se poser une question cruciale « au fait qu’est-ce que je fais là ? ».
En arrivant à Tours, je traverse la Loire et j’en suis convaincu, cette itinérance à vélo n’est pas la dernière, il faut dire que c’est long de relire son passé.