Introspection à vélo

Introspection à vélo

16 novembre 2022 Artisanat Divers Technique et matériel Voyage à vélo 0

Récit d’un itinéraire nécessaire qui me pousse (sans le savoir) à interroger qui je suis et à redécouvrir ce qui m’anime aujourd’hui.

Qu’est-ce qu’on raconte d’un voyage 8 mois après l’avoir bouclé ? Comment fait-on pour imaginer un récit joyeux alors que pendant ce même voyage débutait la guerre en Ukraine ? Peut-on éviter de faire comme si de rien n’était dans un monde en crises ? Ce récit est donc bien différent de celui que j’aurai écrit plus tôt, il me force à faire un pas de côté. Ça tombe bien, c’est ce que je cherchais.

Je ne sais pas vous, mais moi je me sens cyclique. C’est plutôt une bonne idée quand on travaille dans le vélo, mais parfois c’est désagréable à vivre (parlez-en à ma petite famille, elle confirmera). Au début de l’hiver, j’étais donc dans un creux, de ceux dans lesquels on se sent crevé, un peu trop la tête dans le guidon, en queue de peloton. Expressions cyclistes, c’est fait ! J’ai de la chance (reconnaissance éternelle) de vivre à côté d’une personne aux qualités multiples (avouez que ce serait mal venu de dire l’inverse ici) et disposant d’une très grande franchise. C’est ainsi que je me suis gentiment entendu dire : « prends soin de nous, prends soin de toi, va faire un tour. »

Circonstances parfaites pour imaginer relier Toulouse en train-vélo ! La destination semblait idéale pour trois raisons : le point de chute familial et ses projets atypiques, des artisans inspirants et un gentil goût d’exotisme parfait pour l’aventure. Me voilà donc dans un train (l’Aubrac) capable de relier Clermont-Ferrand à Béziers (arrêt prévu à Tournemire-Roquefort pour moi). C’était sans compter sur un accident de personne et une grève pour maintenir une activité économique à Saint Chély d’Apcher. Je me retrouve donc propulsé dans un car de substitution, mon vélo sur les genoux, à tenter de comprendre la situation de mes voisin·es d’infortune. Mais que diable allions-nous faire dans cette galère ?

Trois heures plus tard, je fus déposé devant la gare de Millau où plus rien ne circule. A 19h30, avec une montée sur le causse, c’est génial pour commencer ! Par chance, le chef de gare est du genre bavard, pédagogue et généreux. Après une visite détaillée de son lieu de travail, il m’offrait un trajet bienvenu jusqu’à Saint-Affrique. C’est donc là, à la nuit tombée que je commençais mes coups de pédales vers le Tarn. Ce furent parmi mes plus belles heures de vélo. Guidé par un ciel étoilé fabuleux, je suivais ma route le long de rivière comme une plongée anachronique dans l’Histoire.

rives du Tarn
Albi-Castres
platanes

Je parvins peu avant minuit à Ambialet. Et je sombrais. Le réveil fut de toute beauté. Ambialet est posé sur un méandre du Tarn, la brume habillait délicatement le petit village (quelque chose me dit qu’en été, il y a du monde par ici). Pas le temps de profiter, je fonce vers Toulouse via Albi et Castres. 170km dans la journée, les derniers le long du canal du Midi sont une purge. Je hais les racines des innombrables platanes qui, de nuit, menacent de vous éjecter dans le large fossé humide. Arrivée tardive donc, mais la bienveillance de mes hôtes me maintient éveillé. Je m’arrête lorsque les entraînements de rugby (oui je sais c’est cliché, mais véridique) prennent fin, ce qui me laisse le temps pour débriefer de mon parcours.

Nuit au calme avant une journée particulière. Quand on passe un seul jour à Toulouse, il faut faire des choix, on ne pourra pas tout voir. J’ai donc sélectionné la crème de la crème, chacun ayant ses qualités (défauts invisibles ou inexistants). L’accueil de ces artisans me renvoie à ma propre hospitalité. Suis-je capable de donner autant, de mettre tant de cœur lorsque je reçois du monde ? Gaël m’ouvre son garage/atelier au nord de Toulouse, je découvre les pépites sur lesquelles il travaille, les trésors qu’il chérit tout en devisant sur ce qui nous lie : l’association des Artisans du Cycle. Face à lui, je me sens tout petit, il dégage tant de compétences que cela me renvoie à mes limites personnelles.

longtail et son créateur

Le trajet retour vers le centre de la ville rose est banal : toujours ce foutu canal et ses maudites racines. Heureusement, je retrouve mon beau-frère devant la gare, et nous découvrons le lieu improbable qu’est la Maison du Vélo. L’idée c’est de se faire discret, de ne pas étaler son CV et tutti, de juste profiter. Je ne peux rien dire sur les activités vélo que le lieu héberge, mais j’ai adoré ce qu’on y mange.

Et BASTA ! C’est comme cela que Thomas clôt ses opérations de communication sur les réseaux sociaux. Cela paraît un peu sec, mais le bonhomme dégage tout l’inverse en vrai. L’espace de coworking qui l’accueille est le rêve pour l’artisan que je suis. Ça fourmille, ça grouille, ça déménage, et forcément ça infuse. Dans la famille cargo, je demande le biporteur surcyclé, ça s’appelle Botch et ça m’inspire depuis que j’ai entendu parler d’Officine Recycle.

biporteur et son créateur

Dans le registre inspirant, j’ai ensuite rendu visite à Fred. Je l’avais rencontré il y a 5 ans, à la faveur d’un Concours de Machines à Ambert, et je m’étais juré de venir observer son travail : la fabrication de la selle Idéale. Ouvrir la porte de son atelier, c’est comme remonter le temps, direction les années 50 (ou ce que j’en imagine) : bleu de travail, machines hors d’âge, gestes maîtrisés à la perfection… Fred est à la jonction d’un ingénieur et d’un artiste : un artisan en somme.

selle et son créateur

C’est le genre de journée que je garde en moi comme un trésor, comme un bijou à garder avec moi pour les coups durs. Avant de retourner vers les miens, je dois dormir, me lever aux aurores, suivre le canal (toi-même tu sais) jusqu’à Matabiau, et sauter dans un train direction le Lot ! A Capdenac, je remplis ma musette de salé et sucré, et sans plus attendre : je rentre. Dans l’effort d’un ascension beaucoup trop longue pour moi (25km tout de même), je replonge dans des vacances familiales dans ce même Cantal. Entre frères et sœurs, nous remontions les cours d’eau. La vie était aventure et prise de risque.

Lot Idéale

Cette nostalgie façon Et au milieu coule une rivière n’a finalement que peu de sens et arrivé en haut du col de Lenseigne, cette page d’enfance n’a plus le même goût. Les larmes qui glissent le long de mes joues glacées sont-elles uniquement celles de l’effort ? Elles ressemblent plus à une tambouille entre spleen et rage. Je profite de la descente jusqu’à Aurillac pour remettre ces souvenirs à leurs places : « vous n’êtes que du passé, laissez-moi désormais profiter du présent et de l’avenir pour saisir la beauté des paysages et des gens rencontrés. » Les deux heures de train jusqu’à Clermont-Ferrand sont propices à la digestion. Le balancier du wagon agit comme les bras d’un parent sur son enfant. Je m’endors et lorsque mes paupières se rouvrent, c’est pour retourner à mon quotidien qui est finalement si doux.

Le vélo a de nombreuses vertus : il permet le dépassement de soi, encourage la rencontre, et redonne du goût à la vie !